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Partie 3 : la liberté syndicale dans la fonction publique à l’épreuve de la crise sanitaire

publié le 24/09/2021

Cet article a été co-rédigé par Maître Alma Basic, avocate au barreau de Paris.

Les agents publics porteurs d’un mandat syndical sont-ils soumis au passe sanitaire et à l’obligation vaccinale ?

Il convient en premier lieu de déterminer si les représentants du personnel relevant de fonction publique sont soumis au passe sanitaire lorsqu’ils exercent leur mandat dans les établissements où les personnels sont soumis à ces obligations, c’est-à-dire quand ils se rendent dans les locaux syndicaux, aux réunions syndicales, aux réunions du CTE et du CHSCT, quand ils distribuent des tracts ou collecte les cotisations syndicales, etc.).

La loi n° 2021-1040 du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire et le Décret 2021-1059 du 7 août 2021 prévoit, entre autres, d’instaurer un passe sanitaire pour accéder à de nombreux lieux de loisirs ainsi qu’aux établissements de santé, ainsi qu’une obligation vaccinale pour certains agents publics, sous peine de mesures de suspension de salaire pour les personnels qui ne respecteraient pas ces contraintes sanitaires.  

Dans sa décision n° 2021-824 DC du 5 août 2021 sur la loi relative à la gestion de la crise sanitaire, le Conseil constitutionnel ne s’est pas prononcé sur l’obligation vaccinale des agents publics, de sorte qu’il est possible de remettre en cause la conformité à la Constitution le fait d’imposer une telle contrainte (la question sera vraisemblablement posée à l’occasion d’une question prioritaire de constitutionnalité).  

Interrogé sur la conformité à la Constitution des dispositions subordonnant l'accès à certains lieux, établissements, services ou événements à la présentation d'un « passe sanitaire », le Conseil constitutionnel a retenu que :  

« 37. Ces dispositions, qui sont susceptibles de limiter l'accès à certains lieux, portent atteinte à la liberté d'aller et de venir et, en ce qu'elles sont de nature à restreindre la liberté de se réunir, au droit d'expression collective des idées et des opinions. […]

40. En troisième lieu, les mesures contestées peuvent s'appliquer dans certains lieux, établissements, services ou événements où sont exercées des activités de loisirs, de restauration commerciale ou de débit de boissons. Elles peuvent également s'appliquer à des foires, séminaires et salons professionnels, à des services et établissements de santé, sociaux et médico-sociaux, aux déplacements de longue distance par transports publics interrégionaux ainsi qu'à certains grands magasins et centres commerciaux.

41. […] en prévoyant l'application de ces mêmes mesures aux services et établissements de santé, sociaux et médico-sociaux ainsi qu'aux activités de loisirs, de restauration ou de débit de boissons à l'exception de la restauration collective, de la vente à emporter de plats préparés et de la restauration professionnelle routière et ferroviaire, le législateur a circonscrit leur application à des lieux dans lesquels l'activité exercée présente, par sa nature même, un risque particulier de diffusion du virus.

42. D'autre part, le législateur a entouré de plusieurs garanties l'application de ces mesures. S'agissant de leur application aux services et établissements de santé, sociaux et médico-sociaux, le législateur a réservé l'exigence de présentation d'un « passe sanitaire » aux seules personnes accompagnant ou rendant visite aux personnes accueillies dans ces services et établissements, ainsi qu'à celles qui y sont accueillies pour des soins programmés. Ainsi, cette mesure, qui s'applique sous réserve des cas d'urgence, n'a pas pour effet de limiter l'accès aux soins. […]. En outre, comme le Conseil constitutionnel l'a jugé dans sa décision du 31 mai 2021 mentionnée ci-dessus, la notion « d'activité de loisirs » exclut notamment une activité politique, syndicale ou cultuelle.

43. Enfin, ainsi qu'il a été dit précédemment, les mesures réglementaires prises sur le fondement des dispositions contestées ne peuvent, sous le contrôle du juge, l'être que dans l'intérêt de la santé publique et aux seules fins de lutter contre la propagation de l'épidémie de covid-19. Elles doivent être strictement proportionnées aux risques sanitaires encourus et appropriées aux circonstances de temps et de lieu. Il y est mis fin sans délai lorsqu'elles ne sont plus nécessaires. »  

Dans sa précédente décision n° 2021-819 DC du 31 mai 2021 sur la loi relative à la gestion de la sortie de crise sanitaire, le Conseil constitutionnel a considéré que « la notion d'activité de loisirs, qui exclut notamment une activité politique, syndicale ou cultuelle, n'est ni imprécise ni ambiguë » (point 18).  

L’article 1er de la loi du 5 aout 2021 prévoit explicitement que la présentation du passe sanitaire est requise s’agissant de l'accès à certains lieux, établissements, services ou évènements où sont exercées, notamment, les activités de loisirs (point II-A, 2°, a).  

Dès lors, en insistant sur la circonstance que la notion « d'activité de loisirs » exclurait l’activité syndicale, il semble plus que vraisemblable que le Conseil constitutionnel ait émis une réserve sur la constitutionnalité des dispositions législatives relatives au passe sanitaire : les personnes qui se rendraient dans un lieu où s’exerce une activité syndicale, qu’elles soient ou non titulaires d’un mandat et peu importe si l’établissement en cause est soumis au passe sanitaire, ne seraient pas soumises à cette contrainte.  

Enfin, en tout état de cause, l’article 1-2-d de la loi du 5 août 2021 ne paraît pas pouvoir être opposé à l’agent titulaire d’un mandat syndical puisqu’il exerce ses mandats et les heures de délégation afférentes dans un autre but que celui d’accompagner ou de rendre visite aux personnes accueillies, ou s’y rendre pour des soins programmés.  

Bien sûr, il s’agit à cette heure d’une interprétation qui n’a pas encore été confirmée ni infirmée par le Conseil constitutionnel, ce dernier n’ayant pas été saisi de la question.  

Attention : indépendamment des dispositions de la loi relative à la gestion de la crise sanitaire, il ne peut être exclu que le chef d’établissement puisse, au titre de ses pouvoirs de police et en application des articles L.4121-1 et L.4121-2 du Code du travail édictant une obligation de santé et de sécurité de moyen renforcée pesant sur l’employeur (par exception applicables aux établissements publics) pour exiger la présentation du passe sanitaire.  

Dans ce cadre, à conditions de démontrer que les circonstances l’imposent, la direction pourrait justifier l’imposition du passe sanitaire sans exception comme étant nécessaire au bon fonctionnement du service ainsi qu’à la nécessité de garantir la sécurité sanitaire des autres agents et des patients accueillis (chaque situation sera appréciée, en cas de recours, par la juridiction saisie, en fonction des circonstances de chaque affaire et de la proportion de la mesure par rapport aux risques que ferait courir la présence, au sein de l’établissement, de personnes non soumises au passe sanitaire).

En second lieu, la question se pose de savoir si les agents publics titulaires d’un mandat syndical et d’une décharge partielle ou totale d’activité sont soumis à « l’obligation vaccinale ».  

Il est incertain, en effet, que la réserve posée par le Conseil constitutionnel à propos du passe sanitaire s’applique à l’obligation vaccinale.  

On peut exclure d’emblée l’hypothèse où l’agent exerce une activité syndicale périodiquement, dès lors qu’il doit être en service le reste du temps, en dehors de son activité syndicale. Le cas échéant, rien ne semble permettre de le soustraire à l’obligation vaccinale au titre de son activité syndicale.  

En revanche, dans l’hypothèse où l’agent est mis à disposition d’une organisation syndicale à temps plein, il ne se trouve alors plus en présence des patients puisqu’il n’a plus vocation à être en service dans son établissement de rattachement (l’article 19 du décret n°86-660 du 19 mars 1986 relatif à l'exercice du droit syndical permet que les agents soit mis à disposition « pour une quotité comprise entre 20 % et 100 % »).  

Sans doute, en application de l’article 97 de la loi du 9 janvier 1986, les agents qui bénéficient d’une décharge d’activité de service pour l’exercice d’un mandat syndical sont réputés être en position d’activité.  

Mais l’article 12 de la loi du 5 août 2021 dispose que l’obligation vaccinale s’impose (sauf contre-indication) aux « personnes exerçant leur activité dans » les établissements énumérés, et non pas aux agents qui sont en position d’activité. On en veut pour preuve la possibilité laissée aux agents de solliciter un congé pour retarder une suspension pour défaut de présentation des justificatifs liés au parcours vaccinal.  

Dans ces conditions, il semble que le chef d’établissement ne devrait pas pouvoir exiger la présentation des justificatifs requis pour le schéma vaccinal de la part d’un agent porteur d’un mandat syndical en décharge totale qui n’exerce pas son activité professionnelle dans cet établissement et qui, de ce fait, n’a pas vocation à être en contact avec le public (patients et visiteurs).  

On rappellera, en effet, que l’obligation vaccinale doit être « strictement proportionn[ée] aux risques sanitaires encourus et appropriées aux circonstances de temps et de lieu ».  

On voit mal, dès lors, dans quelle mesure un agent qui n’est plus en service et qui se rend dans l’établissement uniquement dans le cadre de son activité syndicale, à savoir en dehors de la présence du public, pourrait constituer un risque, dès lors qu’il prendrait soin de respecter les gestes barrières et les mesures sanitaires en vigueur dans tous les établissements dans lesquels le personnel est soumis à l’obligation vaccinale.  

Le juge judiciaire a eu l’occasion de juger que l’absence de possibilité de communication pour un délégué syndical avec les salariés présents dans l’établissement était disproportionnée au but recherché et légitime de protection sanitaire de l’ensemble des salariés et constitue un trouble manifestement illicite, dès lors que la liberté de circulation était exercée dans un respect strict des conditions sanitaires (Tribunal judiciaire de Saint-Nazaire, ord. 27 avril 2020, n° 20/00125)  

Se pose alors la question de la possibilité pour l’employeur de revenir sur le principe de la décharge syndicale ou pour le préfet de réquisitionner les agents porteurs de mandats syndicaux bénéficiant de décharges totales.  

À cet égard, si la mise à disposition est accordée sous réserve des nécessités du service (article 21 du décret du 19 mars 1986), elle ne peut prendre fin de manière prématurée qu’à la demande de l'organisation syndicale ou du fonctionnaire (article 26 du même décret).  

La possibilité pour le chef d’établissement, voire pour le préfet dans le cadre de réquisition, semble par conséquent exclue.  

Enfin, la circonstance que l’agent porteur du mandat et mis à disposition à temps plein continue d’être rémunéré par son établissement ne devrait pas permettre à la direction de l’établissement de suspendre le traitement d’un agent porteur d’un mandat et d’une décharge syndicale équivalent à 100% dès lors que celui-ci ne justifierait pas des justificatif requis par l’article 14 de la loi n°2021-1040 du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire.  

En somme, donc, le chef d’établissement ne devrait pas être en mesure d’empêcher l’agent porteur d’un mandat syndical en décharge totale de se rendre au local syndical et à toutes réunions en lien avec son mandat, ce qui implique de lui permettre l’accès à son établissement dans le cadre de l’exercice de son mandat syndical sans exiger la preuve de la satisfaction du schéma vaccinal.  

Dans l’hypothèse où le chef d’établissement suspendrait cet agent et le priverait de sa rémunération, voire l’empêcherait seulement d’accéder à l’établissement dès lors qu’il ne rapporterait pas cette preuve, il sera possible d’engager des procédures contentieuses.

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