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La situation des agents publics suspendus pendant un arrêt maladie s’éclaircit enfin !

publié le 10/03/2022

La loi n° 2021-1040 du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire a imposé une obligation vaccinale à la majorité des personnels de santé et du secteur médico-social depuis le 15 septembre 2021, sous peine d’être suspendus de leurs fonctions sans rémunération ni droit à l’avancement.

De nombreux agents publics ont ainsi été suspendus, sans distinctions relatives à leurs situations particulières, au prétexte d’une prétendue nécessité d’imposer la vaccination pour maîtriser la crise sanitaire et protéger les personnes vulnérables.

Il n’est pas question ici de débattre ni de remettre en cause per se la politique sanitaire retenue par le législateur, sous l’impulsion de l’exécutif, mais de préciser si l’obligation vaccinale s’applique à certaines situations particulières où les agents concernés ne sont pas physiquement présents auprès des malades et de leurs collègues soignants.

L’obligation vaccinale connaît-elle des exceptions ?

La question s’est rapidement posée de savoir si les personnels à première vue concernés par l’obligation vaccinale devaient nécessairement y être soumis alors qu’ils n’exerçaient pas leurs fonctions auprès des personnes vulnérables ni des soignants et qu’ils ne représentaient objectivement aucune menace pour la santé publique.

On pense notamment aux soignants en arrêt maladie (congé maladie ordinaire, congé de longe maladie, congé de longue durée, CITIS, personnel en AT, etc.), en congé maternité, mais aussi aux personnels employés dans des services éloignés des services de soins (agents administratifs, comptables, personnels de restauration…). Enfin, la situation des salariés et agents publics titulaires de mandats syndicaux et de responsabilité d’ordre syndical s’est également posée, qu’ils bénéficient ou non de décharges d’activité, de mise à disposition ou de détachement pour exercer leurs missions syndicales.

  • S’agissant des personnels titulaires de mandats syndicaux, le Conseil d’État n’a pas encore tranché au jour où cet article est publié (à actualiser d’ici la fin du mois de mars 2022).
  • S’agissant des personnels employés dans des services éloignés des personnes vulnérables et des soignants, le Conseil d’État semble avoir tranché en faveur de l’obligation vaccinale :

« l'obligation vaccinale prévue par les dispositions législatives citées au point précédent s'impose à toute personne travaillant régulièrement au sein de locaux relevant d'un établissement de santé mentionné à l'article L. 6111-1 du code de la santé publique, quel que soit l'emplacement des locaux en question et que cette personne ait ou non des activités de soins et soit ou non en contact avec des personnes hospitalisées ou des professionnels de santé » - v. CE, 2 mars 2022, n° 459589 et n° 458237). 

Cette solution très sévère porte sur des décisions prises à l’automne 2021, alors que la crise sanitaire était plus gravement installée.

Le juge de l’excès de pouvoir statuant au jour où la décision attaquée a été prise, il est permis d’espérer que seront censurées les mesures de suspension prises alors que la crise sanitaire connaît une accalmie et que les personnels positifs à la COVID-19 sont rappelés pour travailler…

  • S’agissant des personnels en congé maladie au jour de leur suspension de fonctions, le Conseil d’État a tranché en faveur du maintien de leur rémunération :

Le Conseil d’État, statuant en cassation, a rejeté le pourvoi dirigé contre une ordonnance ayant suspendu l’exécution d’une mesure de suspension de fonctions sans rémunération prononcée par le directeur général du groupe hospitalier Bretagne Sud à l’encontre d’un agent en congé maladie (CE, 2 mars 2022, 458353, à mentionner aux Tables).

Dans cette affaire, une infirmière titulaire avait été suspendue de ses fonctions par une décision du 17 septembre 2021, ce jusqu'à ce qu'elle satisfasse à l'obligation de vaccination contre la covid-19 prévue par l'article 12 de la loi du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire. 

Pour confirmer la décision prise par le juge des référés du tribunal administratif de Rennes de suspendre cette mesure provisoirement, dans l’attente d’un jugement au fond, le Conseil d’État s’est fondé que les dispositions suivantes :

  • L'article 41 de la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique hospitalière (dans sa version en vigueur au jour de la décision de suspension contestée), suivant lequel :

« Le fonctionnaire en activité à droit : 

(...) 

2° A des congés de maladie dont la durée totale peut atteindre un an pendant une période de douze mois consécutifs en cas de maladie dûment constatée mettant l'intéressé dans l'impossibilité d'exercer ses fonctions. Celui-ci conserve alors l'intégralité de son traitement pendant une durée de trois mois ; ce traitement est réduit de moitié pendant les neuf mois suivants. Le fonctionnaire conserve, en outre, ses droits à la totalité du supplément familial de traitement et de l'indemnité de résidence. Le bénéfice de ces dispositions est subordonné à la transmission par le fonctionnaire, à son administration, de l'avis d'arrêt de travail justifiant du bien-fondé du congé de maladie, dans un délai et selon les sanctions prévues en application de l'article 42 »

  • Le I de l'article 12 de la loi n° 2021-1040 du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire, lequel dispose que :

« Doivent être vaccinés, sauf contre-indication médicale reconnue, contre la covid-19 :

1° Les personnes exerçant leur activité dans : 

a) Les établissements de santé mentionnés à l'article L. 6111-1 du code de la santé publique (...) »

  • Le III de l'article 14 de la même loi, aux termes duquel : 

« Lorsque l'employeur constate qu'un agent public ne peut plus exercer son activité en application du I, il l'informe sans délai des conséquences qu'emporte cette interdiction d'exercer sur son emploi ainsi que des moyens de régulariser sa situation. L'agent public qui fait l'objet d'une interdiction d'exercer peut utiliser, avec l'accord de son employeur, des jours de congés payés. À défaut, il est suspendu de ses fonctions ou de son contrat de travail. La suspension mentionnée au premier alinéa du présent III, qui s'accompagne de l'interruption du versement de la rémunération, prend fin dès que l'agent public remplit les conditions nécessaires à l'exercice de son activité prévues au I. Elle ne peut être assimilée à une période de travail effectif pour la détermination de la durée des congés payés ainsi que pour les droits acquis par l'agent public au titre de son ancienneté. Pendant cette suspension, l'agent public conserve le bénéfice des garanties de protection sociale complémentaire auxquelles il a souscrit (...) ». 

Le Conseil d’État a déduit de la combinaison de ces textes que :

« Si le directeur d'un établissement de santé public peut légalement prendre une mesure de suspension à l'égard d'un agent qui ne satisfait pas à l'obligation vaccinale contre la covid-19 alors que cet agent est déjà en congé de maladie, cette mesure et la suspension de traitement qui lui est associée ne peuvent toutefois entrer en vigueur qu'à compter de la date à laquelle prend fin le congé de maladie de l'agent en question. Par suite, en jugeant, pour suspendre  l'exécution de la décision de suspension du 17 septembre 2021 qui visait Mme D..., que le moyen tiré de ce que cette décision ne pouvait être d'effet immédiat alors que l'intéressée était en congé de maladie depuis le 3 septembre précédent et devait voir son entrée en vigueur différée au terme du congé maladie était de nature à faire naître un doute sérieux quant à sa légalité, le juge des référés du tribunal administratif de Rennes n'a pas commis d'erreur de droit. »

Il se déduit de cet arrêt qu’indépendamment du fait qu’un agent soit déjà placé en congé de maladie, dès lors que cet agent ne satisferait pas à l’obligation vaccinale à laquelle il est soumis sur le fondement de la loi du 5 aout 2021, le législateur aurait permis au directeur de son établissement de rattachement de lui notifier une mesure de suspension de fonctions sur le fondement de cette même loi.

Le juge de cassation a toutefois nuancé son raisonnement en précisant que, dans cette hypothèse, la mesure de suspension de fonctions, y compris donc la suspension de traitement mais aussi, croit-on comprendre, la perte des droits à l’avancement, ne peut prendre effet qu’après la période d’arrêt de travail pour raisons médicales.

La période de congé maladie suspend donc l’entrée en vigueur de la mesure de suspension de fonctions au titre de la loi du 5 août 2021.

Qu’en est-il des agents placés en congés maladie alors qu’ils sont déjà suspendus ?

Une analogie entre les régimes des suspensions sur le fondement de la loi du 5 août 2021 et les suspensions à titre conservatoire décidées sur le fondement de l’article 30 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 (désormais article L. 531-1 et suivants du code général de la fonction publique), devrait permettre de confirmer qu’il est légalement impossible de priver un agent en congé maladie de sa rémunération et de son droit à l’avancement.

Plus précisément, s’il n’est pas contesté que la suspension de fonctions au motif de l’absence de justification du parcours vaccinal est prononcée sur le fondement de la loi du 5 août 2021 et qu’elle est soumise à un régime distinct de la suspension prononcée sur le fondement des dispositions statutaires de droit commun, il n’en demeure pas moins que ces deux mesures d’éloignement du service ont le même objet : écarter un agent dont la présence pourrait nuire au bon fonctionnement du service et à la sécurité des agents et des usagers de l’administration concernée.

Or, la suspension à titre conservatoire fondée sur l’article 30 de la loi du 13 juillet 1983 ne prend effet qu’à l’issu du congé maladie de l’agent qui en fait l’objet, l’agent demeurant en position d’activité (v. CE, 22 février 2006, n° 279.756, mentionné aux Tables ; CE, 31 mars 2017, n°388.109, mentionné aux Tables).

L’agent suspendu sur le fondement de la loi du 5 août 2021 doit également être considéré comme demeurant en position d’activité, puisqu’il n’est ni en détachement, ni en disponibilité, ni en congé parental, ni en activités de réserve.

Dès 2006, le Conseil d’État a retenu que :

« Le fonctionnaire qui fait l'objet d'une mesure de suspension est maintenu en position d'activité, et dispose dans cette position du droit à congé de maladie en cas de maladie dûment constatée le mettant dans l'impossibilité d'exercer les fonctions qu'il exercerait s'il n'était pas suspendu ; qu'ainsi le droit au congé de maladie ne peut être légalement refusé à un fonctionnaire au seul motif qu'à la date de sa demande il fait l'objet d'une mesure de suspension » (CE, 22 février 2006, n° 279.756, précité).

La Haute juridiction a poussé le raisonnement encore plus loin en jugeant qu’un agent qui était déjà suspendu avant d’être placé en arrêt de travail devait être maintenu en position d'activité et, en conséquence, bénéficier des droits inhérents aux congés de maladie :

« Le fonctionnaire qui fait l'objet d'une mesure de suspension est maintenu en position d'activité, a droit en cette qualité à des congés de maladie ou de longue maladie en cas de maladie dûment constatée le mettant dans l'impossibilité d'exercer les fonctions qu'il exercerait s'il n'était pas suspendu et bénéficie du régime de rémunération afférent à ces congés ; qu'en plaçant ce fonctionnaire en congé de maladie ou de longue maladie, l'autorité compétente met nécessairement fin à la mesure de suspension, sans préjudice de la possibilité pour elle de la décider à nouveau à l'issue du congé si les conditions prévues à l'article 30 de la loi du 13 juillet 1983 demeurent remplies. Considérant qu'il ressort des pièces versées au dossier que, postérieurement aux demandes présentées par M. A le 28 juin 2010, le ministre l'a, par un arrêté du 2 août 2010, placé en congé de longue maladie à compter du 23 mai 2010 pour une durée de neuf mois ; qu'en lui accordant le bénéfice de ce congé, le ministre a, implicitement mais nécessairement, abrogé l'arrêté du 4 janvier 2008 par lequel il avait pris à son encontre une mesure de suspension […] » (CE, 26 juillet 2011, n°343837, mentionné aux Tables).

Il est cependant incertain que le Conseil d’État respecte cette analogie dans le cadre de son application de la loi du 5 août 2021. En effet, sa jurisprudence est particulièrement sévère à l’encontre des agents publics soumis à l’obligation vaccinale. On en veut pour preuve les deux décisions récentes précitées : CE, 2 mars 2022, n° 459589 et n° 458237.

Par suite, alors que la mesure de suspension issue de la loi du 5 août 2021 porte déjà une disproportion manifeste par rapport à l’objectif de valeur constitutionnel de protection de la santé avec la perte de rémunération et des droits à l’avancement (alors même qu’une faute grave justifiant d’engager une procédure disciplinaire contre un agent public lui permet de conserver plusieurs mois sa rémunération, même en cas de poursuites pénales…), le Conseil d’État pourrait distinguer selon que l’arrêt de travail pour raisons médicales a été délivré avant ou après la suspension de fonctions pour non-respect de l’obligation vaccinale…

En revanche, pour les agents ayant été suspendus pendant leur arrêt de travail pour raisons médicales, le Conseil d’État a bien tranché en faveur du maintien de leur rémunération pendant la durée de leur congé maladie.

Que faire si vous n’avez pas encore saisi le Tribunal administratif et que le délai de recours a expiré ?

Pour les agents concernés qui n’auraient pas contester la décision de suspension de fonction dans le délai de recours contentieux de deux mois, il est toujours possible d’adresser une demande indemnitaire à leur établissement afin d’obtenir une indemnisation correspondant aux traitements non versés.

Il est impératif d’adresser une demande indemnitaire préalable par courrier RAR et, en cas de rejet de cette demande, de saisir un avocat pour engager une action en responsabilité devant le tribunal administratif.

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