La loi n° 2021-1040 du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire a imposé une obligation vaccinale à la majorité des personnels de santé et du secteur médico-social depuis le 15 septembre 2021.
Il n’aura pas fallu attendre plus longtemps pour que les directions des établissements concernés privent l’ensemble des salariés et des agents publics n’ayant pas présenté de justificatif de leur statut vaccinal de leur emploi – et par conséquent de toute forme de rémunération.
Or, parmi ces personnels, nombreux étaient en congé maladie au jour où l’obligation vaccinale leur a été imposée, pour certains depuis longtemps, alors que d’autres étaient absents du service en raison de congés maternité, de sorte qu’ils ne risquaient en aucun cas de constituer un quelconque risque du point de vue de la propagation du virus Sars-Cov-2.
Il est donc permis de douter que le législateur, en vue d’assurer la protection des personnes vulnérables et d’éviter autant que possible leur contamination au COVID-19, ait entendu permettre d’écarter du service les personnels placés en arrêt de travail ou en congé maternité, les privant ainsi de revenus et de droit à l’avancement…
Il convient de distinguer entre la situation des salariés et des agents publics contractuels, d’une part, et celle des fonctionnaires, d’autres part.
En effet, alors que l’assurance maladie (CPAM) prend en charge la rémunération de ces personnels pendant les périodes de congés maladie et maternité, c’est l’administration – autrement dit l’autorité prononçant la suspension - qui rémunère les fonctionnaires qu’elle emploie pendant ces mêmes périodes.
La situation relativement préservée des salariés et des contractuels de droit public suspendus pour cause de non-présentation de leur statut vaccinal pendant un congé maladie ou maternité
Dans son Questions-réponses « Obligation de vaccination ou de détenir un pass sanitaire pour certaines professions », le ministère du travail, de l’emploi et de l’insertion a précisé l’articulation entre la suspension du contrat de travail des salariés pour non-respect de l’obligation vaccinale et un arrêt maladie.
Dans la mesure où les contractuels de droit public sont également pris en charge par la CPAM dans ces hypothèses, le même raisonnement semble pouvoir leur être appliqué.
- Hypothèse 1 : le salarié ou l’agent public non-titulaire était placé en arrêt maladie ou en congé maternité avant la suspension de son contrat pour cause de non-présentation du justificatif vaccinal
L’administration indique que :
« Le salarié qui, avant suspension pour non-respect de l’obligation vaccinale, est placé en arrêt maladie par un médecin voit son contrat de travail suspendu dans les conditions prévues par le droit commun : arrêt de travail à adresser à son employeur sous 48h, le versement des indemnités journalières de la sécurité sociale (IJSS) et - s’il en remplit les conditions - du complément employeur. L’obligation vaccinale applicable au salarié ne peut être exigée durant cet arrêt maladie, les obligations émanant du contrat de travail étant mises entre parenthèses durant cette période. Toutefois, à l’issue de son arrêt maladie, le salarié retrouve sa situation contractuelle et devra prouver à son employeur qu’il respecte l’obligation vaccinale prévue ».
Il s’en déduit logiquement que l’obligation vaccinale applicable aux salariés ne peut pas être exigée durant cet arrêt maladie, les obligations émanant du contrat de travail étant mises entre parenthèses durant cette période. Bien sûr, à l’issue de son arrêt maladie, le salarié retrouve sa situation contractuelle et devra prouver à son employeur qu’il respecte l’obligation vaccinale prévue.
- Hypothèse 2 : le salarié ou l’agent public non-titulaire tombe malade ou est placé en congé maternité alors que son contrat est déjà suspendu pour non-respect de l’obligation vaccinale
Dans le même Questions-réponses, le ministère du travail, de l’emploi et de l’insertion a indiqué que :
« Dans le cas où le contrat de travail du salarié est suspendu pour défaut de respect de son obligation vaccinale, et que ce dernier est placé par la suite en arrêt maladie, il a droit à bénéficier de ses IJSS. Pour autant, son contrat de travail ayant été suspendu initialement pour défaut d’obligation vaccinale, l’employeur n’est pas tenu de verser le complément employeur pour la durée de l’arrêt de travail, sous réserve des stipulations prévues dans les conventions collectives ».
Dans ces deux hypothèses, le même raisonnement devrait pouvoir être suivi en ce qui concerne la situation des agents contractuels employés dans le secteur public, dès lors que c’est à la CPAM et non à l’administration qui les emploie qu’il revient de les rémunérer pendant les périodes de congés maladie et maternité.
Au contraire, une suspension de fonction devient rapidement dramatique pour les fonctionnaires puisqu’ils sont immédiatement privés de tout revenu, leur administration cessant de leur verser leur traitement…
La situation particulièrement critique des fonctionnaires suspendus pour non-présentation de leur statut vaccinal pendant un congé maladie ou maternité
De nombreux fonctionnaires ont été suspendus de leurs fonctions et privés de rémunération alors qu’ils se trouvaient en congés maladie. Une première rupture d’égalité doit être dénoncée à ce stade : en l’absence de dispositions claires dans les textes, la situation des personnels concernés peut être différentes selon l’interprétation retenue par leur direction. Il n’en demeure pas moins que de nombreux titulaires ont été suspendus malgré leur absence du service, leurs employeurs considérant que l’obligation vaccinale s’imposait pendant leurs arrêts de travail.
Des dispositions législatives et règlementaires détournées par les employeurs au détriment des personnels de santé
En droit, en effet, il semble bien que ce soit au prix d’une erreur de droit et d’une méconnaissance du champ d’application de la loi n° 2021-1040 du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire que l’administration retienne une telle interprétation.
- Plus précisément, l’article 12 de ladite loi dispose que l’obligation vaccinale s’impose (sauf contre-indication) aux « personnes exerçant leur activité dans » les établissements de santé – tels que les centres hospitaliers.
Sans doute le législateur a-t-il expressément prévu des dérogations à l’obligation vaccinale, telles que celle concernant les personnels titulaires d’un certificat médical de contre-indication à la vaccination (article 13, I, 2° de la loi du 5 août 2021) et celle concernant les personnes en charge de l’exécution de tâches ponctuelles (article 12, III de ladite loi).
De même, cet article prévoit la possibilité pour les agents soumis à l’obligation vaccinale de reporter la date à laquelle ils doivent l’appliquer en prenant leurs congés annuels.
On peut donc logiquement en déduire qu’un agent en congé maladie ou maternité, qui n’exerce pas effectivement son activité, n’a pas à se soumettre à l’obligation vaccinale.
En toute logique, l’obligation vaccinale étant motivée par la recherche de protection des personnes vulnérables et des personnels à leur service, ne devrait avoir vocation à s’imposer qu’aux seuls agents exerçant effectivement leurs fonctions au sein des établissements mentionnés à l’article 12 de la loi du 5 août 2021, indépendamment de la circonstance que les agents concernés soient statutairement en position d’activité.
On rappellera qu’un fonctionnaire peut être placé dans quatre positions administratives : activité, détachement, disponibilité et congé parental (v. les articles 40 à 64-1 de la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique hospitalière).
Or, l’article 41 de la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique hospitalière prévoit que :
« Le fonctionnaire en activité a droit :
[…] 2° À des congés de maladie dont la durée totale peut atteindre un an pendant une période de douze mois consécutifs en cas de maladie dûment constatée mettant l'intéressé dans l'impossibilité d'exercer ses fonctions. Celui-ci conserve alors l'intégralité de son traitement pendant une durée de trois mois […]. Le fonctionnaire conserve, en outre, ses droits à la totalité du supplément familial de traitement et de l'indemnité de résidence. Le bénéfice de ces dispositions est subordonné à la transmission par le fonctionnaire, à son administration, de l'avis d'arrêt de travail justifiant du bien-fondé du congé de maladie, dans un délai et selon les sanctions prévues en application de l'article 42. (…)
5° Aux congés de maternité et liés aux charges parentales prévus aux a, b, c, d et e ci-dessous. Durant ces congés, le fonctionnaire conserve l'intégralité de son traitement, du supplément familial de traitement et de l'indemnité de résidence.
[…] ».
L’article 14 du Décret n°88-386 du 19 avril 1988 relatif aux conditions d'aptitude physique et aux congés de maladie des agents de la fonction publique hospitalière dispose, par ailleurs, que, sous réserve des mesures de contrôle prévues à l’article suivant :
« En cas de maladie dûment constatée le mettant dans l’impossibilité d’exercer ses fonctions, le fonctionnaire hospitalier est de droit placé en congé maladie ».
L’objectif de la loi du 5 août 2021, complétant et modifiant celle du 31 mai 2021, imposant la vaccination obligatoire des personnels exerçant au sein des établissements de santé, était de protéger les patients avec lesquels ils sont en contact et qui peuvent présenter une vulnérabilité particulière au virus de la covid 19 et afin d’éviter la propagation du virus par les professionnels de la santé dans l’exercice de leur activité qui, par nature, peut les conduire à soigner des personnes vulnérables.
Dès lors, suspendre des agents en arrêt maladie, c'est-à-dire des personnels éloignés des patients, ne justifiait en aucune mesure de renoncer au droit des fonctionnaires à bénéficier de leurs congés maladie.
C’est, en effet, la seule présence effective dans le service qui paraissait, du moins à l’été 2021, pouvoir justifier la proportionnalité d’une telle contrainte par rapport à l’objectif de valeur constitutionnelle de protection de la santé publique, et non la situation administrative des agents.
Sans même qu’il soit besoin apprécier le bien-fondé des mesures adoptées, l’objectif des lois des 31 mai et 5 août 2021 relatives à la crise sanitaire résidant dans la protection de la santé publique, les mesures exceptionnelles de suspension de fonctions étaient supposées éloigner les agents qui ne se soumettent pas à l’obligation vaccinale des établissements où ils travaillent afin d’éviter les risques de contaminations du virus Covid 19.
On en veut pour preuve, notamment, la possibilité laissée aux agents de solliciter un congé pour retarder une suspension pour défaut de présentation des justificatifs liés au parcours vaccinal : « Lorsque l'employeur constate qu'un agent public ne peut plus exercer son activité en application du I, il l'informe sans délai des conséquences qu'emporte cette interdiction d'exercer sur son emploi ainsi que des moyens de régulariser sa situation. L'agent public qui fait l'objet d'une interdiction d'exercer peut utiliser, avec l'accord de son employeur, des jours de congés payés. À défaut, il est suspendu de ses fonctions ou de son contrat de travail » (article 14.III).
L’agent en congé annuel est bien en position d’activité, et pourtant le législateur a prévu qu’il ne serait redevable de cette obligation qu’à son retour sur son poste.
Ainsi, les agents placés en congés maladie, détachés dans un autre établissement ou en disponibilité, notamment, ne devaient logiquement pas être soumis à l’obligation vaccinale.
Puisqu’il fallait confirmer une telle évidence, de nombreux établissements de santé ayant suspendus des agents placés en congés maladie de manière tout à fait illégale, le ministre des solidarités et de la santé a indiqué, dans son instruction N° DGOS/RH1/DGESIP/A1-4-DFS/2021/192 du 7 septembre 2021 relative à la mise en œuvre de l’obligation vaccinale que ce n’est que « s’ils ne remplissent pas les conditions fixées par l’article 13 de la loi n°2021-1040 du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire à la date de leur arrivée ou de leur retour dans l’établissement (ex : retour de disponibilité, de détachement, de congé pour raison de santé divers notamment congé maladie ordinaire, congé de longue durée, congé de longue maladie, congé parental, congé de solidarité familiale, congé de présence parentale…) », [que] les dispositions relatives à la suspension prévue au III de l’article 14 s’appliquent aux personnels médicaux et hospitaliers.
De même, dans le « questions / réponses » publié sur le site du ministère de la santé et des solidarités, à la question « les personnes en arrêt maladie sont-elles également concernées par l’obligation vaccinale, et le cas échéant peuvent-elles faire l’objet d’une suspension ? », le ministre répond que « Les personnes en arrêt maladie soumises selon la loi à l’obligation vaccinale, sont concernées par l’obligation vaccinale. S’il est possible pour un employeur de prononcer une suspension pendant un congé maladie, celle-ci ne prend toutefois effet qu’à l’issue de celui-ci. »
Le gouvernement fait donc bien la distinction entre :
- D’une part, les emplois de certains agents qui les soumettent à l’obligation vaccinale en application de l’article 12 de la loi du 5 août 2021,
- D’autre part, la circonstance que les agents placés en congé maladie sont physiquement absents du service et par conséquent éloignés des personnes vulnérables dont la protection est l’objectif poursuivi par la contrainte vaccinale.
Dès lors, l’interprétation faite de la loi du 5 août 2021 par le gouvernement lui-même impliquait que, dès lors que l’agent a régulièrement informé son administration de ses arrêts maladie, celui-ci ne devrait pas pouvoir être légalement suspendu de ses fonctions ni être privés de ses droits à l’avancement sur le fondement de la loi du 5 août 2021.
Il serait donc incompréhensible et, en toute hypothèse, contraire au principe constitutionnel d’égalité, que les agents du secteur public puissent être suspendus pendant leur arrêt maladie, au contraire des salariés du secteur privé soumis à l’obligation vaccinale.
- Au surplus, s’il était encore besoin de convaincre, une analogie entre les régimes des suspensions sur le fondement de la loi du 5 août 2021 et les suspensions à titre conservatoire décidées sur le fondement de l’article 30 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983, permet de confirmer qu’il est légalement impossible de priver un agent en congé maladie de sa rémunération et de son droit à l’avancement.
Si la suspension de fonctions au motif de l’absence de justification du parcours vaccinal est prononcée sur le fondement de la loi du 5 août 2021 et qu’elle est soumise à un régime distinct de la suspension prononcée sur le fondement de la loi Le Pors, il n’en demeure pas moins que ces deux mesures d’éloignement du service ont pour objet d’écarter un agent dont la présence pourrait nuire au bon fonctionnement du service et à la sécurité des agents et des usagers de l’administration concernée.
Sans même débattre, en ce qui concerne la mesure issue de la loi du 5 août 2021, de la disproportion manifeste de la suspension de fonctions sans rémunération et perte des droits à l’avancement par rapport à l’objectif de valeur constitutionnel de protection de la santé (alors même qu’une faute grave justifiant une procédure disciplinaire permet aux agents concernés de conserver plusieurs mois leur rémunération, même en cas de poursuites pénales…), il s’agit de rappeler que la suspension à titre conservatoire fondée sur l’article 30 de la loi du 13 juillet 1983 ne prend effet qu’à l’issue du congé maladie de l’agent qui en fait l’objet, l’agent demeurant en position d’activité (v. CE, 31 mars 2017, n°388109, mentionné aux Tables).
Il est constant que l’agent suspendu sur le fondement de la loi du 5 août 2021 demeure également en position d’activité, n’étant ni en détachement, ni en disponibilité, ni en congé parental, ni en activités de réserve.
Dès 2006, le Conseil d’État a retenu que :
« Le fonctionnaire qui fait l'objet d'une mesure de suspension est maintenu en position d'activité, et dispose dans cette position du droit à congé de maladie en cas de maladie dûment constatée le mettant dans l'impossibilité d'exercer les fonctions qu'il exercerait s'il n'était pas suspendu ; qu'ainsi le droit au congé de maladie ne peut être légalement refusé à un fonctionnaire au seul motif qu'à la date de sa demande il fait l'objet d'une mesure de suspension » (CE, 22 février 2006, n° 279756, mentionné aux Tables , mise en forme modifiée).
La Haute juridiction a poussé le raisonnement encore plus loin en jugeant qu’un agent qui était déjà suspendu avant d’être placé en arrêt de travail devait être maintenu en position d'activité et, en conséquence, bénéficier des droits inhérents aux congés de maladie :
« Le fonctionnaire qui fait l'objet d'une mesure de suspension est maintenu en position d'activité, a droit en cette qualité à des congés de maladie ou de longue maladie en cas de maladie dûment constatée le mettant dans l'impossibilité d'exercer les fonctions qu'il exercerait s'il n'était pas suspendu et bénéficie du régime de rémunération afférent à ces congés ; qu'en plaçant ce fonctionnaire en congé de maladie ou de longue maladie, l'autorité compétente met nécessairement fin à la mesure de suspension, sans préjudice de la possibilité pour elle de la décider à nouveau à l'issue du congé si les conditions prévues à l'article 30 de la loi du 13 juillet 1983 demeurent remplies.
Considérant qu'il ressort des pièces versées au dossier que, postérieurement aux demandes présentées par M. A le 28 juin 2010, le ministre l'a, par un arrêté du 2 août 2010, placé en congé de longue maladie à compter du 23 mai 2010 pour une durée de neuf moi ; qu'en lui accordant le bénéfice de ce congé, le ministre a, implicitement mais nécessairement, abrogé l'arrêté du 4 janvier 2008 par lequel il avait pris à son encontre une mesure de suspension […] » (CE, 26 juillet 2011, n°343837, mentionné aux Tables).
- À toutes fins utiles, on rappellera, enfin, que la rémunération versée pendant un congé maladie, que ce soit par l’administration pour les fonctionnaires ou par la CPAM pour les agents contractuels de droit public, n'a pas le même objet que celle versée par l’employeur en contrepartie du travail exercé par l’agent concerné.
Il se déduit par conséquent de tous les développements qui précèdent qu’un agent public placé en congé maladie ne devrait se voir appliquer les dispositions des articles 12 et 14 de la loi du 5 août 2021 que lorsque son état de santé lui permet de reprendre son activité professionnelle, et en aucun cas avant son retour sans le service. À lui de prendre, le moment venu, les mesures nécessaires pour que cela soit possible au vu des obligations imposées par le législateur le moment venu.
En toute hypothèse, un certificat de vaccination ne saurait légalement lui être demandé avant toute reprise du travail, de la même façon que la suspension ne peut prendre effet qu’au terme de son congé maladie.
Contre toute attente, cette analyse n’a pas été partagée par toutes les juridictions saisies par des fonctionnaires suspendus alors qu’ils étaient en congés pour raisons médicales, créant ainsi, en plus d’une rupture d’égalité manifeste, une insécurité juridique inédite.
Des jurisprudences divergentes à l’origine d’une rupture d’égalité manifestes entre les agents placés en congés pour raisons médicales
Si toutes les ordonnances rendues par les juges administratifs des référés n’ont pas été portées à la connaissance des signataires du présent article, les décisions prononcées dans les dossiers instruits ainsi que les quelques-unes publiées en ligne permettent de dresser un bilan en demi-teinte du point de vue du respect des droits statutaires des personnels de santé relevant du secteur public.
Contrairement à ce que l’on pouvait légitimement penser, en effet, les juridictions saisies sur l’ensemble du territoire national ont rendu des ordonnances divergentes, pour certains au sein du même tribunal, créant ainsi une insécurité juridique inédite en l’absence d’avis ou de décision du Conseil d’État encore à ce jour.
- La majorité des juges administratifs ont respecté l’esprit des textes en ordonnant la suspension les mesures de suspension prononcées à l’encontre des fonctionnaires placés en arrêt de travail pour raisons médicales avant le 15 septembre 2021.
Le premier, le juge des référés du tribunal administratif de Cergy-Pontoise a retenu dans une ordonnance particulièrement remarquée, rendue le 4 octobre 2021, que :
« 6. Les dispositions précitées de l’article 14 de la loi du 5 août 2021 qui permettent à l’employeur d’interdire à un agent public hospitalier soumis à l’obligation vaccinale d’exercer son activité et d’interrompre sa rémunération tant qu’il n’a pas présenté l’un des documents mentionnés au I de l’article 13 ou, à défaut, au A, puis au B, du I de l’article 14 de cette loi, ne trouvent pas à s’appliquer à l’agent qui, placé en congé maladie à la date d’entrée en vigueur de ces dispositions, n’est pas en mesure d’exercer son activité. Elles ne légifèrent pas non plus, en tout état de cause, sur les droits acquis au titre de l’avancement par un agent public hospitalier durant la période de suspension de ses fonctions » (n° 2111794).
Par cette même ordonnance, le juge des référés a confirmé, par ailleurs, que les agents placés en congés maladie ne devaient pas perdre leurs droits acquis au titre de l’avancement.
Cette solution, conforme à une lecture téléologique de la loi, a depuis été confirmée par d’autres ordonnances rendues par le même tribunal (v. par ex. deux ordonnances rendues le 21 octobre 2021, n° 2112461 et n° 2112465).
Les juges des référés de plusieurs autres tribunaux administratifs ont ensuite confirmé la solution rendue par le juge de Cergy-Pontoise, à savoir l’existence d’un doute sérieux sur la légalité de la mesure de suspension de fonctions d’un agent placé en congé maladie au jour de la notification de cette décision.
En voici quelques exemples :
- TA Melun, ord. 21 octobre 2021, n° 2109119, n° 2109120, n° 2109121, n° 2109122, n° 2109123 et n° 2109124
- TA Nancy, ord. 21 octobre 2021, n° 2102908, n° 2102906 et n° 2102904
- TA Montpellier, 21 octobre 2021, n° 2105301
- TA Grenoble, ord. 26 octobre 2021, n° 2106636 ; 13 décembre 2021, n° 2107838 ; 1er février 2022, n° 2200136 - une trentaine de décisions en ce sens ont été prises par ce tribunal administratif jusqu’à encore très récemment)
- TA Rennes, ord. 28 octobre 2021, n° 2105113 ; 29 octobre 2021, n° 2105131- n° 2105155 - n° 2105232
- TA Orléans, ord. 3 novembre 2021, n° 2103681 ; 15 novembre 2021, 2103788
- TA Marseille, ord. décembre 2021 (date et numéro de dossier inconnus)
- TA Strasbourg, ord. 6 décembre 2021, n° 2107706
- De manière tout à fait contestable, quelques juges des référés réfractaires ont refusé de suspendre les décisions de suspensions de fonctions d’agents absents du service pour des raisons médicales
Pour quelques-uns dès les premiers litiges portés devant eux, pour d’autres après un revirement difficilement incompréhensible de leur jurisprudence ou bien en raison de positions divergentes entre les juges des référés d’une même juridiction, plusieurs tribunaux administratifs ont rejeté les requêtes d’agents suspendus pendant un congé maladie.
À titre liminaire, il semble important de relever qu’à de nombreuses occurrences depuis l’entrée en vigueur de l’obligation vaccinale, les juges des référés administratifs ont abusé de la pratique des ordonnances de tri à l’occasion des contestations de suspensions de fonction. La situation particulière des agents placés en congé maladie avant l’entrée en vigueur de la loi du 5 août 2021 a donné lieu le plus souvent à des procédures contradictoires. L’absence de jurisprudences topiques publiées concernant les agents malades ou placés en congés maternité alors qu’ils étaient déjà suspendus laisse supposer que des ordonnances de tri sont majoritairement rendues en ce qui les concerne.
Ce sont donc les litiges impliquant des arrêts de travail pour raisons médicales avant le 15 septembre 2021 qui sont très majoritairement évoqués ici (on relèvera seulement que le juge des référés rennais ayant opportunément rejeté pour défaut d’urgence la requête d’un agent placé en congé maladie après cette date, sa position sur le fond demeure inconnue aux soussignés : TA Rennes, ord. 1er décembre 2021, n° 2105644).
- Certains juges des référés ont considéré que les agents concernés, bien qu’absents du service pour raisons médicales indépendantes de la crise sanitaire et dès avant le 15 septembre 2021, s’étaient eux-mêmes placés en difficulté en refusant de présenter un justificatif de vaccination. Le cas échéant, leurs requêtes en référé suspension ont été rejeté au motif d’un défaut d’urgence.
« 4. En l’espèce, pour justifier l’urgence d’une suspension de la décision en litige, Mme X. fait valoir que la suspension dont elle fait l’objet la prive de tout revenu depuis le 15 septembre 2021. Il n’est cependant pas établi, d’une part, que la requérante serait dans l’impossibilité d’utiliser, avec l’accord de son employeur, des jours de congés ce qui aurait pour effet de permettre au centre hospitalier de reprendre le versement de sa rémunération. D’autre part, l’intéressée, aide-soignante au sein du grand hôpital de l’est francilien, qui ne pouvait ignorer l’obligation vaccinale à laquelle elle est soumise en cette qualité, s’est elle-même placée dans l’impossibilité de poursuivre son activité professionnelle en refusant de satisfaire à cette obligation. Dans ces conditions, et alors même que Mme X. serait privée de toute ressource, les nécessités de protection de la santé publique s’attachant à l’exécution de la mesure contestée font obstacle à ce que la condition d’urgence, à laquelle les dispositions de l’article L. 521-1 du code de justice administrative subordonnent la suspension de l’exécution d’une décision administrative, soit regardée comme remplie »
- D’autres juges des référés ont rejeté les requêtes adressées par les agents suspendus en excipant d’une absence de doute sérieux sur la légalité des mesures de suspension malgré l’absence des agents placés en congé maladie ou maternité.
Certains juges n’ont pas même motivé le rejet des requêtes, se bornant à viser ou citer les articles 12 et 14 de la loi du 5 août 2021 (TA BORDEAUX, 8 novembre 2021, n° 2105528 ; TA Strasbourg, ord., 10 novembre 2021, n° 2107352)
Pour d’autres, la motivation de leurs décisions tient principalement au fait que « la loi n° 2021-1040 du 5 août 2021 n’a pas opéré de distinction, s’agissant de l’obligation vaccinale qu’elle édicte, selon que les fonctionnaires concernés seraient, ou non, en congé de maladie » (TA Besançon, ord. 11 octobre 2021, n° 2101694 ; TA Nîmes, 23 novembre 2021, n° 2103876)
Le juge des référés du tribunal administratif de Toulouse a quant à lui retenu que :
« 7.Les dispositions de l’article 41 de la loi du 9 janvier 1986 selon lesquelles le fonctionnaire conserve, selon la durée du congé, l’intégralité ou la moitié de son traitement, ont pour seul objet de compenser la perte de rémunération due à la maladie en apportant une dérogation au principe posé par l’article 20 de la loi du 13 juillet 1983 subordonnant le droit au traitement au service fait. Elles ne peuvent avoir pour effet d’accorder à un fonctionnaire bénéficiant d’un congé de maladie des droits à rémunération supérieurs à ceux qu’il aurait eus s’il n’en avait pas bénéficié.
8. […] Si l’intéressée n’avait pas été placée en congé de maladie, elle n’aurait donc pu, en tout état de cause, percevoir son traitement en raison de l’interdiction d’exercer son activité imposée par ces dispositions et de la suspension de fonction sans rémunération que son employeur était tenu de prononcer à son égard en application du III de ce même article à défaut que ladite loi ait expressément prévu d’autres possibilités que celle consistant à utiliser des jours de congés payés ainsi qu’en dispose ce III. Or le versement d’une rémunération au titre de son congé de maladie aurait pour effet, en méconnaissance de la règle ci-dessus énoncée, de lui accorder des droits supérieurs à ceux auxquels elle aurait pu prétendre si elle n’avait pas bénéficié d’un tel congé. Dans ces conditions, aussi légitime que puisse être l’arrêt de travail prescrit médicalement, et alors même qu’il est antérieur à la décision en litige, 1 pas droit au maintien de son traitement à compter du terme de la période de congés annuels qui lui ont été accordés. Il suit de là que le moyen invoqué n’apparaît pas de nature, en l’état de l’instruction, à créer un doute sérieux sur la légalité de la décision attaquée » (TA Toulouse, ordonnance, 22 octobre 2021, req. n° 2105971)
Enfin, le juge des référés du Tribunal administratif de Lyon semblait plutôt favorable à l’interprétation de la loi du 5 août 2021 suivant laquelle la vaccination ne peut être exigée des agents absents des services de soins et, de ce fait, éloigné des personnes vulnérables (v. en ce sens : TA Lyon, ord. 22 octobre 2021, n° 2108122 et 2108124 : la circonstance que les requérants exerçaient leurs fonctions de cuisinier dans un bâtiment annexe situé à l’extérieur de l’hôpital fait qu’ils n’étaient pas au nombre des personnes concernées par l’obligation vaccinale prévue aux articles 12 et suivants de la loi du 5 août 2021). Pourtant, à titre d’exemple porté à notre connaissance, par une ordonnance rendue le 24 novembre suivant (n° 2108797), un juge du même tribunal n’en a pas moins rejeté la requête en référé d’un agent suspendu alors qu’il se trouvait en congé maladie pour absence de doute sérieux…
La liste des ordonnances citées est bien évidemment loin d’être exhaustive. Elle permet néanmoins de démontrer l’insécurité juridique manifeste dans laquelle se trouvent les agents concernés, en plus d’être, faut-il le rappeler, en arrêt de travail pour raisons médicales…
Il est plus de temps que le Conseil d’État rende une décision, ce dernier étant saisi de plusieurs pourvois en cassation, afin d’harmoniser la jurisprudence des juridictions du fond.
Il ne reste plus qu’à espérer que ce soit au terme d’un raisonnement favorables aux agents…
EN CONCLUSION, les personnels de santé concernés se trouvent actuellement dans une situation très précaire.
Notamment, les arrêts maladie sont particulièrement contrôlés à la demande des administrations employeurs depuis le 15 septembre 2021 et la procédure de radiation des cadres de la fonction publique pour abandon de poste a été opportunément utilisés par plusieurs établissements de santé pour exclure des personnels non vaccinés, dans le but à peine voilé de contourner les dispositions de la loi n° 2021-1040 du 5 août 2021.
Pour ne citer qu’un seul exemple, le juge des référés du tribunal administratif de Poitiers a ordonné la suspension de la décision de radiation des cadres d’un agent non vacciné, par ailleurs privée de rémunération depuis plusieurs semaines, alors même que cet agent avait fait connaître son intention de solliciter une contre-expertise en suite de l’avis d’aptitude du médecin agréé (TA Poitiers, ord., 9 décembre 2021, n° 2102972 – 2103119).
Indépendamment du risque de radiation des cadres pour abandon de poste, la précarité de leur situation est une évidence en ce qui concerne les agents qui sont suspendus de leurs fonctions pendant leur arrêt de travail ou leurs congés maternité : non seulement ces agents ne peuvent-ils pas envisager de cumuler un autre emploi pendant le temps de leur suspension puisqu’ils sont en arrêt maladie ou maternité, mais encore se trouvent-ils privés de tout revenu, même au titre des minima sociaux ! Au contraire, un agent suspendu à titre conservatoire dans le cadre du lancement d’une procédure disciplinaire aura droit au maintien de sa rémunération pendant une période au moins égale à quatre mois, voire à la moitié de son traitement en cas de poursuites pénales…
L’absence de proportionnalité des décisions prononçant la suspension avec privation de rémunération d’agents absents du service est patente, a fortiori lorsqu’ils sont en congés pour raisons médicales !
Là encore, la rupture d’égalité est consommée au même titre que l’atteinte aux droits fondamentaux puisque, parmi les agents suspendus qui en font la demande, nombreux sont ceux qui se voient refuser le bénéfice du revenu de solidarité active (RSA), en violation de législation en vigueur et des principes fondamentaux garantissant à tout citoyen le droit de mener une vie privée et familiale digne. À titre d’illustration, le Département de la Drome refuse d’accorder le RSA aux agents suspendus alors que le conseil départemental ardéchois y est favorable…
Une telle brèche dans les droits sociaux semble inédite en France, et difficilement justifiable du point de vue de l’objectif de protection de la santé publique – absents du service, les agents concernés ne sauraient en effet constituer une menace sanitaire !
Enfin, les agents qui ont obtenu une décision favorable de la part du juge des référés sont également placés dans une situation pour le moins précaire.
En effet, dans le meilleur des cas, l’ordonnance sera confirmée par les juges du fond, mais ce n’est pas une certitude. Or, dans l’hypothèse d’une infirmation de la décision provisoire prononcée en référé, il est à craindre que les établissements exigent le remboursement des indemnités versées pendant leur arrêt de travail…
Le Conseil d’État doit rapidement poser sa jurisprudence, au risque de mettre encore plus en difficulté les nombreux agents déjà fragilisés !
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