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La fin du CHSCT : une atteinte de plus aux droits sociaux des personnels de santé !

publié le 03/02/2022

Le décret n° 2021-1570 du 3 décembre 2021 porte sur la mise en place des comités sociaux d'établissement (CSE) à la place des comités techniques d'établissement et des comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) dans les établissements publics de santé, sociaux et médico-sociaux et les groupements de coopération sanitaire de moyens de droit public. 

L’entrée en vigueur de ce texte est programmée à la fin de l’année 2022, à l’occasion du prochain renouvellement général de instances représentatives des personnels de la fonction publique hospitalière.

À quelques jours de l’expiration du délai de recours contentieux contre ce décret, une première analyse des points de contestations de ce dernier pan de la réforme des IRP dans la fonction publique s’impose, tant les mesures prévues remettent en cause le fonctionnement des instances historiques que sont le CHSCT et le comité technique d’établissement (CTE)…

Le décret en question, pris pour l'application de l'article 4 de la loi n° 2019-828 du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique, définit les règles relatives à la composition, l'élection, les attributions et le fonctionnement des comités sociaux d'établissement dans le secteur public hospitalier et médico-social. Plus précisément, une formation spécialisée en matière de santé, de sécurité et de conditions de travail (ci-après F3SCT) a vocation à être instituée au sein du comité social d'établissement (ci-après CSE) en lieu et place de l’actuel CHSCT.

Cependant, non seulement les prérogatives des représentants syndicaux siégeant dans la F3SCT seront limitées par rapport à celles des membres des CHSCT, mais encore de nombreux établissements vont se voir privés de la possibilité même de bénéficier de cette instance particulièrement importante dans le cadre de la protection des travailleur-euse-s.

De nombreuses mesures décidée par ce décret ont été prises en méconnaissance des droits sociaux protégés tant par la Constitution, par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et aux principes généraux du droit social, tenant principalement à la liberté syndicale et au principe de participation des travailleurs, au droit à la santé et à la sécurité au travail.

1. En premier lieu, en application de l’article 3 du décret, le seuil pour que soit instaurée une (F3SCT) est dorénavant de 200 agents, contre 50 pour l’actuel CHSCT.

Ce nouveau seuil exclut par conséquent un très grand nombre d’établissements relevant du champ d’intervention de la Fédération, et tout particulièrement la majorité des EHPAD où les conditions de travail sont fortement dégradées.

75% des établissements seront donc désormais privés de la garantie d’une instance garantissant la protection de la santé et des conditions de travail des personnels de santé et de l’action sociale - essentiellement des EHPAD.

Sans doute une F3SCT peut-elle être instituée par décision du directeur d'établissement, après avis du CSE, mais sans aucune garantie.

Il s’agit là, à tout le moins, d’une atteinte aux droits constitutionnellement protégés de la représentativité syndicale et de la protection de la santé, en plus d’une rupture d’égalité flagrante entre les personnels du secteur.

2. En deuxième lieu, s’agissant de la composition de la nouvelle formation spécialisée venant remplacer l’actuel CHSCT, il apparaît que la désignation des membres titulaires de la F3SCT se fera parmi les seuls membres du CSE (titulaires ou suppléant·e·s) – ce qui interroge par ailleurs sur la possibilité d’une reconnaissance de la personnalité juridique de cette émanation du CSE, au contraire du CHSCT…

La contestation de cette mesure va de pair avec la revendication du maintien de la personnalité juridique de cette instance représentative du personnel. 

3. En troisième lieu, la détérioration du droit à l'expertise s’impose avec l’entrée en vigueur de ce décret (v. articles 51 et 52).

Sous l’empire de la règlementation actuelle, le CHSCT d’un établissement public de santé peut décider de recourir à un expert agréé pour une expertise en cas « de danger grave » ou de « projet important » de l’employeur modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail.

L’article 51 du décret du 3 décembre 2021 marque une évolution sensible des modalités de recours à l’expertise par rapport aux règles issues du code du travail :

  • Le recours à une expertise sera possible uniquement si la F3SCT ne dispose pas des éléments nécessaires à l’évaluation des risques professionnels, des conditions de santé et de sécurité ou des conditions de travail.

Par suite, dans l’hypothèse où l’expertise sera sollicitée par la majorité des membres de la formation spécialisée, cette dernière sera dans l’obligation de démontrer qu’elle ne dispose pas déjà des éléments précités.

Il est donc à craindre qu’une expertise mandatée par la direction puisse dorénavant bloquer la possibilité d’imposer une expertise indépendante… Il s’agit là d’une évolution contraire à la jurisprudence constante de la Cour de cassation.

  • L’article 51 du décret apporte une limitation importante pour l’expertise réalisée sur un projet important puisque le recours à l’expertise est uniquement prévu « en cas de projet important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail lorsqu’il ne s’intègre pas dans un projet de réorganisation de service. ». Concrètement, cela signifie que pour les projets de réorganisation de service, une demande d’expertise sera impossible.

À ce stade, il suffit de comparer les possibilités offertes à la formation spécialisée du CSE dans le secteur privé pour comprendre à quel point le droit à l’expertise est remis en cause par le décret du 3 décembre 2021, notamment en matière de protection de la sécurité et de la santé des travailleur-euse-s (v. pour exemples l’expertise en cas de risque grave identifié et actuel, révélé ou non par un accident du travail, une maladie professionnelle ou à caractère professionnel - C. trav., art. L. 2315-94 1º ; l’expertise en cas de projet important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail, indépendamment de la réorganisation du service - C. trav., art. L. 2315-94 2º ; l’expertise dans le cadre de la préparation de la négociation sur l'égalité professionnelle - C. trav., art. L. 2315-94 3ºet L. 2315-95 ; l’expertise en ce d’introduction de nouvelles technologies dans l’établissement - (C. trav., art. L. 2315-94)

  • Enfin, si un vote majoritaire favorable des membres de la F3SCT peut se prononcer en faveur de l’organisation d’une expertise, le président a la possibilité de refuser d’y faire droit.

Sans doute sa décision devra-t-elle être motivée et l’agent de contrôle de l’inspection du travail saisi en vue d’établir un rapport.

Au final, l’opposition à une demande d’expertise sollicitée par la F3SCT par la direction devra être exercée à l’occasion de recours devant le tribunal administratif, sans garantie que le tribunal imposera finalement une expertise indépendante.

Par ailleurs, alors qu’une plus grande judiciarisation des relations collectives de travail semble s’annoncer, la personnalité juridique de la F3SCT n’est pas confirmée, ce qui limite encore davantage la marge de manœuvre de cette nouvelle instance. À l’instar de la jurisprudence concernant le CHSCT, il apparaît fondamental d’obtenir la garantie de la capacité pour agir en justice de la F3SCT.

4. En quatrième lieu, les membres de la F3SCT ne pourront plus imposer au président l’audition d’une « personne qualifiée ».

L’article 68 du décret prévoit, en effet, que « le président, à son initiative ou à la demande de membres titulaires de l’instance concernée, peut convoquer des personnes qualifiées en fonction au sein de l’établissement afin qu’elles soient entendues sur un point inscrit à l’ordre du jour. Le nombre et l’identité des personnes qualifiées doivent être soumis à l’accord du président au plus tard quarante-huit heures avant l’instance. ».

Le président aura donc un véritable droit de véto sur toutes les demandes des élus siégeant au sein de la future instance remplaçant le CHSCT en vue d’auditionner une ou plusieurs personnes qualifiées.

5. En cinquième lieu, comme autre témoignage du déséquilibre dorénavant flagrant au profit des directions d’établissement, l’ordre du jour des F3SCT sera décidé en dernier lieu par le seul président du CSE, conformément à ce que prévoit l’article 67 du décret.

Ainsi, même lorsque l’établissement sera doté d’une formation dédiée à la protection de la santé et des conditions de travail des agents, le contenu des débats sera contrôlé par la seule direction, alors que, dans le secteur privé, le secrétaire établit conjointement l’ordre du jour avec l’employeur (v. article L. 2315-29 du code du travail).

Sans doute le secrétaire peut-il faire des propositions. Cependant, le président n’est pas tenu de les intégrer à l’ordre du jour. 

Cela constitue une menace sérieuse sur le droit à la sécurité des travailleur-euse-s dans la mesure où, lorsqu’une délibération est désormais nécessaire, comme en matière d’expertise, une opposition de la direction requerra nécessairement l’obligation d’engager des actions contentieuses – coûteuses et soumises à l’aléa judiciaire.

6. En sixième lieu, le droit d’accès aux locaux et de visite des services par les membres de la F3SCT est également mis à mal par le décret du 3 décembre 2021 relatifs à la mise en place des CSE dans le secteur public de la santé et de l’action sociale.

Au lieu du libre accès aux services des membres de l’actuel CHSCT, l’article 48 du décret prévoit que les membres de la F3SCT « procèdent à intervalles réguliers, à la visite des services relevant du champ de compétence de ladite formation ». Ce droit de visite sera conditionné par une délibération adoptée en séance à la majorité des membres de la formation spécialisée, qui fixera l'objectif, le secteur géographique et la composition de la délégation chargée de la visite.

L’ordre du jour étant maîtrisé par le président de la formation, le droit de visite semble d’ores et déjà menacé, et par conséquent la sécurité des agents employés dans les établissements de santé et médico-sociaux.

7. En septième lieu, le recours contre le décret du 3 décembre 2021 constituerait une opportunité pour dénoncer une discrimination flagrante entre les droits syndicaux des agents publics et des salariés, tenant à l'absence de délit d'entrave aux missions et au fonctionnement du CSE et F3SCT de la fonction publique hospitalière, contrairement à ce qui est prévu par le code du travail.

Le décret pourrait ainsi être critiqué en tant qu’il limite considérablement les prérogatives des représentants des agents, tout en augmentant les pouvoirs de contrôle de la direction, et cela sans prévoir de sanction pénale en cas d’entrave au droit syndical.

8. En dernier lieu, d’autres atteintes aux droits syndicaux à l’issue de la réforme initiée par le décret du 3 décembre 2021 pourront être contestées devant le juge administratifs :

En effet, tant la composition que les conditions de fonctionnement et les attributions du CSE dans son ensemble peuvent être contestée comme violant les droits sociaux fondamentaux des travailleur-euse-s, notamment en ce que les nouvelles dispositions règlementaires remettent en cause l’efficacité de la protection garanties aux agents par les modalités d’intervention des actuelles CHSCT et CTE :

  • La modification défavorable des seuils relatifs à la composition de la F3SCT (notamment, 6 représentants titulaires pour les sites de 500 à 1999 agents et 9 titulaires pour les sites de 2000 agents et plus (alors que le seuil est de 1500 pour CHSCT)
  • Le délai de prévenance pour convoquer un CSE, même exceptionnel, sera dorénavant étendu à un mois – ce qui revient à laisser perdurer des situations d’urgence sociales et sanitaires pendant un délai incompatible avec les missions de cette instance – a fortiori en l’absence de F3SCT (article 66 du décret)
  • Le champ des consultations au CSE par rapport à l’actuel CTE est diminué (perte de consultations à contester dans plusieurs domaines déterminant du point de vue de la protection des droits des agents : plan de développement professionnel continu ; critères de répartition des prime de service, prime forfaitaire technique et de la prime de technicité ; la convention constitutive d'un groupement hospitalier de territoire ; les orientations stratégiques de l'établissement ; les effectifs prévisionnels et réels de l'établissement ; la politique sociale, les modalités de la politique d'intéressement ainsi que le bilan social ; la politique d'amélioration continue de la qualité, de la sécurité des soins et de la gestion des risques ainsi que les conditions d'accueil et de prise en charge des usagers…)

Ces arguments ne sont bien sûr pas exhaustifs et leur critique nécessite une analyse plus approfondie. Ils permettent néanmoins de mettre en lumière les effets délétères de ce décret sur le droit syndical et la protection de la sécurité au travail pour les agents relevant du secteur public de la santé et de l’action sociale – d’ores et déjà éprouvés dans le secteur privé depuis la fusion des institutions représentatives du personnel.

Un recours est-il encore possible contre le décret du 3 décembre 2021 ?

C’est le Conseil d’État qui est compétent pour juger du recours contre un décret.

Deux types de recours sont envisageables :

  • Un recours en annulation (portant sur les dispositions contestées, sans nécessairement remettre en cause l’intégralité de la réforme)
  • Éventuellement assorti d’un référé suspension, qui permettrait d’obtenir du Conseil d’État une ordonnance provisoire dans l’hypothèse où la procédure ne serait pas instruite avant l’entrée en vigueur de la réforme. La mise en place des nouvelles instances étant prévue à l’occasion des prochaines élections professionnelles fixées au mois de décembre 2022, il est cependant incertain que le juge des référés considère que la condition relative à l’urgence sera remplie (à envisager sérieusement donc uniquement si le Conseil d’État ne s'est pas encore prononcé au mois de septembre prochain).

Le décret ayant été publié le 5 décembre 2021 au Journal Officiel, le délai de recours expirera le lundi 7 février 2022.

Après cette date, d’autres voies juridiques permettront éventuellement de contester ces mesures, cette fois-ci de manière plus indirecte et, partant, avec des chances de succès plus aléatoires.

Le cabinet de Bénédicte ROUSSEAU est présent pour représenter en justice les syndicats, les élus et les représentants du personnel, ainsi que les agents publics concernés.

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